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La Niouz du Chœur N°4

Haut les Chœurs ! Diriger la musique : pourquoi, par qui ? les chefs, les cheffes 😉

Alors voilà, hier, c'était la journée de la Femme.
Forcément, ça ne se loupe pas, un thème comme ça. D'un autre côté, c'est assez "téléphoné".
Et puis j'ai beaucoup hésité... Les femmes compositrices ? Les femmes cheffes ? Les femmes interprètes ? Le "genre" des instruments d'après leurs interprètes (les trompettistes ont été souvent des hommes, les harpistes des femmes...) ? Encore une foule de trucs à dire, et de quoi faire des dizaines de niouzletters sans doute.

On va essayer de faire dans l'original. Allez, au hasard, les femmes cheffes. (mais quel ego quand même...).

Revenons cependant à l'essentiel : la musique. Pourquoi la dirige-t-on ? Est-ce toujours bien utile ? D'où ça vient ? Y a-t-il toujours eu des chefs ? La place des femmes dans tout ça ? (ben oui, quand même un petit couplet d'actualité !)

D'abord un petit détour par le dictionnaire :
Diriger = du latin dirigere, "aligner, ordonner". Faire aller selon une manière, un ordre, pour obtenir un résultat. (Foi de Petit Robert)
Question musique, vous avez tous déjà eu un.e ou des chef.fe.s devant vous une fois dans votre vie donc on ne va pas vous la faire : vous savez ce que c'est.

Ensuite, on pense en général que les chefs sont une espèce apparue par génération à peu près spontanée, plus ou moins vers le XVIII° ou le XIX°, la taille croissante des orchestres nécessitant que quelqu'un coordonne un peu le jeu des instrumentistes. L'image du gars pas drôle, gesticulant en silence (le seul de l'orchestre !!), toujours de dos, en frac queue de pie noir et noeud pap blanc, s'est progressivement installée entre le XIX° et le XX° pour devenir un poncif du classique, voire une caricature. Genre lui :

Tiens, il a des bretelles !! Pensée pour les Polyphoniens. (oui, leur tenue de concert comporte des bretelles - beaucoup plus confortables pour chanter/respirer que d'avoir le bide engoncé dans une ceinture - foi de Bernard)

Bref, vous vous en doutez, l'histoire commence réellement il y a trèèèèèès longtemps, beaucoup plus longtemps que le XVIII° ou le XIX°.

Les origines de la direction d'orchestre (ou de chœurs !) :

On trouve les premières traces d'une sorte de direction... dans l'Egypte Antique, jusqu'à 3500 ans avant notre ère. Et oui, ça fait loin !
La musique de l'époque n'était pas écrite; il fallait donc bien trouver un système pour retenir les mélodies, mais aussi, lors des représentations, savoir "en live" quelle note jouer à quel moment et sur quel rythme avec les autres musiciens. Sur des sculptures et peintures de cette époque, on peut voir des personnes en train de diriger des chanteurs et des musiciens... Et ce avec certains signes de la main et/ou certaines positions des bras. On retrouve ce principe dans l'Antiquité grecque et romaine.
Cet "art du mouvement des mains" a été nommé plus tard par les grecs "chironomie" (prononcez kironomi). Elle a donc longtemps servi d'intermédiaire entre la transmission orale et la notation écrite quand celle-ci apparaîtra plus tard...

Pour la petite histoire, la chironomie n'était et n'est pas réservée à la musique. Dans le théâtre par exemple, à l'époque romaine, les comédiens devaient connaître près de 12 positions de doigts différentes, chacune signifiant une action ou une émotion précise. On retrouve aussi la chironomie dans certaines danses orientales... Actuellement le mot désigne également l'art d'user des gestuelles de la main lors d'un discours. Voyez nos politiciens ou nos journalistes, qui appuient tel ou tel propos avec des gestes parfaitement calibrés. Parfois, c'est tellement en mode "grosse ficelle" que ça en devient agaçant ! Et parfois, ils ne maîtrisent pas bien, et ça devient drôle. Ah, la communication non verbale...
Bref, je m'égare (mais pas tant que ça : diriger un choeur ou un orchestre, c'est bien de la communication non verbale !)

Si on revient en Europe, après l'Antiquité arrive le Moyen Âge... et le chant grégorien (cf ma niouz précédente qui vous en donnait un extrait). Là encore, au tout début (vers le Vème siècle de notre ère), la musique n'était probablement pas encore notée. On pense que les mélodies étaient mémorisées aussi grâce à des gestes, sans doute issus de la chironomie romaine.
Sauf que vous imaginez bien la galère pour mémoriser une somme conséquente de mélodies différentes, même avec une espèce de choré (une pensée spéciale pour les choristes de Battements de Choeur)...
Du coup, un jour, environ 3 siècles après la fin de l'Empire Romain (il était temps quand même), des petits moinillons malins ont eu l'idée géniale de prendre leur plume ! et ils ont inventé un système d'anti-sèche : les "neumes", sorte de petits signes cabalistiques très simples d'abord placés au dessus des textes à chanter. Ces neumes sont les ancêtres de nos notes actuelles.

En fait, ils ont été plusieurs moinillons à travers l'Europe à avoir eu la même idée plus ou moins en même temps, mais le temps qu'ils s'en parlent entre eux, ça prenait plusieurs années de voyages et de communications à vitesse de cheval. Autant dire qu'ils ont tous trouvé des signes différents, certes logiques, mais quand même de quoi se faire s'arracher les cheveux aux chercheurs musicologues du XX°. Cela dit, les premiers manuscrits que l'on a retrouvés comportant des neumes datent du VIII° siècles, et les derniers datent du XIV°, avec une évolution notoire pendant 6 siècles, vers plus de clarté et lisibilité... Et d'homogénéité entre systèmes. Les derniers ressemblent beaucoup à nos partitions modernes.
Bref, je m'égare encore !

Avec les neumes, les moines étaient donc tous capables de chanter les mêmes mélodies (et les petits nouveaux galéraient moins pour les apprendre). En revanche, il fallait bien se mettre d'accord pour chanter en même temps, à la même vitesse, avec les bonnes intentions, les mêmes élans, les mêmes respirations (ha haa, les respir !)... Et cela était rendu d'autant plus difficile qu'ils étaient nombreux à chanter sous une même voûte ! La chironomie est donc restée un outil bien précieux pour se coordonner. Elle est toujours pratiquée par les moines aujourd'hui :
https://www.youtube.com/watch?v=a5F_p1tgex4
(à 28 secondes et à nouveau le même gars de plus près à 1mn03)
(Désolée, je n'ai rien trouvé de mieux. Je ne sais pas pourquoi, mais c'est compliqué de trouver une vidéo de chant grégorien dirigé ! le reste de la vidéo vous montre la vie de l'Abbaye de Fontgombault dans l'Indre. z'êtes pas obligés de tout regarder).

A noter que la musique sacrée, comme la musique profane de l'époque, était principalement une histoire d'hommes (une femme qui faisait de la musique en public était considérée comme une prostituée...) et donc dirigée par des hommes. Exception notoire : certaines abbesses de couvents de religieuses avaient un rayonnement étonnant, et parfois de grands talents musicaux, par exemple Hildegarde de Bingen qui vécut au XII° et qui composa beauuuucoup de pièces. Elle dut les diriger dans son couvent, sans doute !

Au Moyen Âge, la musique est essentiellement religieuse mais la musique profane prend son essor aussi. En France, la musique profane se répand avec les troubadours qui s'exprimaient en langue d'Oc au sud de la Loire, puis les trouvères en langue d'Oïl au nord de la Loire, et les Minnesänger dans l'ère des pays germaniques. Ils étaient auteurs, compositeurs, et parfois aussi interprètes (sinon, ils laissaient le boulot à des ménestrels). Chansons d'amour, chansons chevaleresques, chansons politiques, de déplorations sur la mort d'hommes célèbres... Ils s'accompagnaient d'instruments - grands absents de la musique religieuse. Ils sont les ancêtres de notre variété actuelle !

C'est d'ailleurs au Moyen Âge qu'apparaît progressivement la polyphonie (= jouer et/ou chanter à plusieurs voix, c'est à dire jouer / chanter simultanément plusieurs mélodies différentes mais complémentaires); au départ sur des bases très simples, souvent une mélodie principale, avec une deuxième voix d'accompagnement rudimentaire.
On n'a pas trop d'infos sur la manière dont était dirigée cette musique. C'est sans doute qu'elle ne l'était simplement pas. Interprétée en solo ou en petits groupes, chacun savait se coordonner avec les autres en s'aidant éventuellement de percussions.
C'est toujours pareil à l'heure actuelle d'ailleurs : les petits groupes de quelques musiciens n'ont pas besoin de chef, que ce soit en classique ou en variété.

Excellente petite vidéo sur la musique médiévale :
https://www.youtube.com/watch?v=kq8cSs1ax90

A la Renaissance (XVI°), la musique suit son évolution, la polyphonie est installée. On chante à 3, 4 5 voix, ou plus. Mais toujours de grands groupes de moines qui se dirigeaient probablement avec la chironomie, et toujours des petits groupes de musiciens profanes qui s'en tiraient sans direction, ou avec l'appui de percussions.

A partir de la période Baroque (XVII° jusqu'à la moitié du XVIII°) et pendant la période classique (seconde moitié du XVIII°)

C'est là que les choses commencent à se gâter : la musique se complexifie, les instruments font leur entrée dans la musique sacrée, les effectifs augmentent, et ça va être l'inflation jusqu'au XIX°.
Il faut bien trouver un (ou plusieurs) truc(s) pour réussir à être ensemble : les mains, des petits bâtons, des feuilles enroulées pour faire comme des bâtons blancs...
L'un des systèmes gagnants va être le grand bâton de direction, genre de canne déplacée vers le haut puis le bas pour signaler le rythme aux musiciens, voire frappée par terre pour bien signaler les temps !! Pas super pratique au final (pas super esthétique non plus à vrai dire) et même carrément dangereux : le pauvre Jean-Baptiste Lully, musicien du Roy Soleil (1632-1687 de son vrai nom Giovanni Battista Lulli - et oui, il était d'origine italienne) en fit les frais malheureusement : il piqua une colère lors d'une répé, se planta son bâton malencontreusement dans le pied, qui s'infecta sérieusement. Lully mourut d'une septicémie quelques semaines plus tard. Moralité, ne jamais piquer de colères en répé, il y a danger de mort. Voyez comme je suis sage.

Un petit extrait de la musique de Lully :
https://www.youtube.com/watch?v=rcrxGwdb-s8

Il fit la vie (très) dure à un autre compositeur assez connu de la même période : Marc-Antoine Charpentier. Ecoutez ça :
https://www.youtube.com/watch?v=MxZQ1ODN1iU
Ça vous rappelle quelque chose, hein ? Et bah voilààààà, je savais que vous connaissiez Charpentier 😉
Notez la direction (en frac toujours mais sans bâton ni baguette) de l'excellent William Christie, chef américain amoureux de la France, spécialiste de la musique française du XVII-XVIII°, et qui a obtenu la nationalité française en 1995.

Bref, une autre manière de diriger à cette époque - et sans doute la plus courante - venait des musiciens eux-même : un membre de l'ensemble agissait généralement en tant que chef d'orchestre. Parfois le "premier violon" (celui qui a le plus d'expérience en gros), qui pouvait utiliser son archet comme baguette, ou un luthiste qui déplaçait le manche de son instrument en rythme (un luth, c'est pas une tortue, c'est d'abord ça : https://fr.wikipedia.org/wiki/Luth ). Il était courant aussi qu'un claveciniste dirige tout en jouant (un clavecin, c'est ça : https://fr.wikipedia.org/wiki/Clavecin   Attention, c'est pas un piano !).

Cette pratique se poursuivra à l'époque Classique (seconde moitié du XVIII°). Mozart par exemple, excellent pianiste (le piano est apparu à l'époque classique), dirigeait souvent ses oeuvres depuis son piano. Beethoven aussi.
A titre d'exemple, voici une vidéo d'une pièce de Mozart où le premier violon et la pianiste soliste se partagent la direction, dans un petit orchestre d'environ 25 personnes :
https://www.youtube.com/watch?v=ngaZpiECpJ0
(bon, OK, le premier violon - visible au premier plan côté gauche - se la joue un peu survolté - il devait être un peu stressé ce jour-là)

Tournant décisif : l'époque Romantique (XIX°) :

Au début du XIXe siècle, la taille de l'orchestre s'élargissant encore, il devient la norme d'avoir un chef dédié qui ne joue pas d'instrument au cours de l'exécution de l'œuvre. Cette inflation de l'effectif aboutira en 1907-1910 à cette fameuse symphonie n°8 de Gustav Malher, rebaptisée ensuite "Symphonie des Mille" par un de ses copains, et qui fut effectivement créée avec un effectif de 1029 musiciens (instrumentistes, chanteurs choristes et solistes). Un peu mégalo, tout ça. Et imaginez le bazar !! Pire qu'un concert avec l'Orchestre de Massy (les Cadenziens sauront de quoi je parle). Gustav Malher dirigea lui même sa symphonie. Tout comme le firent avec leurs oeuvres les grands compositeurs romantiques : Hector Berlioz, Richard Wagner, Franz Liszt, Felix Mendelssohn, Giuseppe Verdi...

La technique de direction en elle-même commença à s'affiner, en particulier sous l'impulsion d'un certain Hans von Bülow (1830-1894) qui apporta beaucoup de nuances et de subtilités. Il est considéré par la plupart des musicologues comme le premier chef d’orchestre de métier. Pianiste de formation et compositeur, il est surtout connu pour avoir suivi Wagner et avoir dirigé notamment l'opéra "Tristan et Isolde".

L'utilisation d'une baguette devint aussi plus fréquente, plus facile à voir que les mains nues ou un papier roulé. Cependant, elle n'est actuellement pas systématique.

Au XX° siècle :

La technique s'affine toujours plus. Les chefs ne sont plus forcément des compositeurs (même s'il y en a encore), mais toujours des instrumentistes de haut niveau. Ils apportent leur "pâte" et leur personnalité aux oeuvres qu'ils dirigent, ils cherchent, ils emmènent leurs orchestres, ils font découvrir des trésors cachés dans les partitions. On retiendra les noms d'Arturo Toscanini (1867–1957), Wilhelm Furtwängler (1886–1954), Leopold Stokowski (1882–1977), Otto Klemperer (1885–1973), Herbert von Karajan (1908–1989)... Leonard Bernstein (1918–1990) – le premier chef d'orchestre américain à atteindre une renommée internationale. Cependant, ils avaient tous des techniques très variées et très personnelles.

Géniale vidéo de Leonard Bernstein dirigeant une répétition de West Side Story :
https://www.youtube.com/watch?v=bWRBtdrw88E

Dans le dernier tiers du vingtième siècle, la technique de direction – en particulier de la main droite et de la baguette (qui donnent le tempo) – s'est normalisée de plus en plus. Les chefs d'orchestres, jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, avaient souvent beaucoup de temps de répétition pour modeler l'orchestre de façon très précise et pouvaient donc avoir des techniques au caractère très particulier ; les chefs d'orchestre modernes, en revanche, qui passent moins de temps avec un orchestre donné (ah les réductions de budgets...), doivent obtenir des résultats avec beaucoup moins de temps de répétition. Une technique plus efficace et standardisée permet à la communication d'être beaucoup plus rapide. On peut l'apprendre maintenant dans certains conservatoires. Néanmoins, les façons de diriger sont encore variées, notamment avec certains gestes des mains, les expressions du visage et des yeux ainsi que le langage corporel. La personnalité de chaque chef est encore bien présente...

Ici, Raphaël Pichon dirige son ensemble Pygmalion dans une oeuvre de Johann Sebastian Bach (que Bach, lui, a sans doute dirigée depuis son petit orgue) :
https://www.youtube.com/watch?v=0WNOLJtpKq0

Bref, un chef, c'est quand même bien pratique; c'est pour ça que finalement, même pour des oeuvres conçues sans, c'est pas mal qu'un chef dirige.

Il y a malgré tout des irréductibles qui n'ont rien voulu savoir, tel cet orchestre collectiviste de l'ancienne URSS, fleuron de l'idéologie d'alors : le Persimfans (l'abréviation du russe « Perviy Simfonicheskiy Ansambl bez Dirizhora » - Premier ensemble symphonique sans chef). Qui exista de 1922 à 1932. Sa disposition était particulière : les musiciens se réunissaient de sorte à former un cercle, certains devant tourner le dos au public. Les plus grands musiciens de l'époque ont collaboré avec eux, mais cet ensemble réclamait énormément de répétitions... J'ai entendu parler de 120 répétitions pour un concert !! Alors qu'actuellement, le nombre de répétitions d'un orchestre pro se compterait plutôt sur les doigts d'une seule main. M'étonne que le modèle d'orchestre sans chef n'ait pas duré plus de 10 ans...

Excellent résumé de tout ça ici :
https://www.arte.tv/fr/videos/086962-019-A/gymnastique/
Crédiou, si seulement j'avais trouvé cette vidéo au début de ma niouz 😮
ééh, au fait, z'avez vu ? C'est une femme à la baguette !

Et donc les femmes, alors ?

Et ben pour les femmes, comme d'hab, c'est la galère. Globalement, le milieu musical a été (et est toujours) terrrrrriblement machiste. Ajoutez à cela que la gent féminine des siècles passés a toujours eu de grandes difficultés à accéder à l'éducation (jusqu'à il n'y a pas si longtemps que ça au fait), et vous aurez les principales raisons qui ont conduit à cette grande absence des femmes en musique.

Au Moyen Âge, pas de place pour les femmes dans la musique profane (juste le droit de fredonner en faisant la vaisselle, ou de jouer à la maison pour faire jolie potiche, si toutefois on avait reçu assez d'éducation). Pour la musique religieuse, une seule exception : celle des couvents de religieuses (donc une pratique loin des regards). Et encore, l'Eglise s'est souvent demandée s'il était judicieux de chanter... Gros débat (qui dura longtemps) de savoir lequel des deux, entre le silence et la musique, permettait l'élévation des âmes... Des sonorités quelque peu suaves auraient pu conduire au péché ! A la Renaissance, pareil pour les femmes : Pas ou peu de musiciennes publiques, ni de compositrices reconnues... Sous peine de se faire rejeter et se faire traiter de pute et comme une pute. Les créatrices sont donc la plupart du temps restées dans l'ombre, les manuscrits perdus.

Il y a eu cependant quelques ovnis qui sont parvenus à s'imposer, on ne sait pas par quel miracle !
Par exemple au Moyen Âge,  Hildegarde de Bingen dont on a déjà parlé plus haut. Mais bon, question miracles, en tant qu'abbesse, elle avait peut-être des accointances avec le Bon Dieu. Et puis elle avait une influence sur les grands de ce monde qui allait bien au delà de la musique.
Une idée de ses compositions ici :
https://www.youtube.com/watch?v=Lbg4TSP44yU
ou là :
https://www.youtube.com/watch?v=0YTOiJ-zjP0
Il y avait aussi quelques très rares "troubadouresses" au Moyen Âge, issues de la Haute (donc un peu favorisées et éduquées quand même).

A la Renaissance, on entend parler d'une certaine Maddalena Casulana, autre ovni qui n'avait pas la langue dans sa poche visiblement. Jugez-en : L’une de ses pièces est dédiée à Isabelle de Médicis, grande mécène et elle-même musicienne amatrice, avec en prime un commentaire piquant : “je veux montrer au monde, autant que je le peux en tant que musicienne, l’erreur que font les hommes en croyant qu’eux seuls possèdent les dons intellectuels et artistiques et que ces dons ne sont jamais donnés aux femmes”.
Et paf.
Une de ses oeuvres ici :
https://www.youtube.com/watch?v=Lc_fp8LkTPk

Aux XVII-XVIII°, la place des femmes dans le monde musical s'améliore un peu... Une petite place pour les chanteuses lors de quelques offices religieux séculiers (mais bon, pas trop, ça pouvait conduire au péché tout ça - d'où le recrutement préférentiel d'hommes castrats qui pouvaient chanter haut et fort)... Et puis des apparitions plus marquées dans la musique profane avec les chanteuses d'opéras (forcément des filles de mauvaises vie, hein !).
En ce qui concerne la composition, quelques forts caractères s'imposèrent, que la postérité a malheureusement rapidement oubliés au profit des messieurs. Les redécouvertes de ces compositrices sont vraiment récentes... Quelques instrumentistes aussi réussirent à  se faire connaître au clavecin ou au piano, mais je doute qu'on les ait laissées diriger de leur place.

Le XIX° ne fut pas meilleur... S'il y avait un peu plus de musiciennes, surtout chanteuses mais aussi des instrumentistes, les compositrices étaient quant à elles malmenées, contraintes d'obéir aux interdictions de publication de la gent masculine (maris, pères, frères), parfois obligées de publier sous le nom de leurs maris quand ils étaient d'accord (ce qu'on a découvert bien plus tard. Et puis ça les arrangeait bien, les maris !). Ou de prendre des pseudos masculins, encore jusqu'au début du XX°. D'autres ont fait pareil en littérature...  Rappelons les mots de Gustav Mahler (la Symphonie des Mille, cf ci-dessus) à Alma, sa future femme, déjà compositrice : « Tu n’as désormais qu’une seule profession, me rendre heureux ! […] Le rôle du compositeur, de celui qui travaille, m’incombe. » … Sans commentaire !
Ici une petite bio très parlante de Fanny Mendelssohn, soeur de Felix (connu notamment pour avoir - en gros - exhumé les oeuvres de Bach) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fanny_Mendelssohn

Et de direction, point question du tout évidemment, ou de manière tellement épisodique, événements rarissississimes maintenant perdus dans l'oubli.
Peu de changement au début du XX°... Un peu plus tard Herbert von Karajan (1908-1989) osa dire : « la place d’une femme est dans la cuisine, pas dans un orchestre symphonique. » Et oui, là se trouvait (et se trouve encore) l'un des bastions d’un machisme d’un autre temps : dans les ensembles et dans la direction.
Rappelons le cas de l'Orchestre Philharmonique de Vienne qui, longtemps, a refusé d’accueillir dans ses rangs des représentantes du sexe faible (sic). Pire encore, les instrumentistes ne voulaient même pas se laisser diriger par une cheffe ! (Et il n'y a pas que chez les viennois que cela s'est produit). Fort heureusement sous la pression internationale, quelques musiciennes ont depuis intégré l’orchestre, qui sera dirigé pour la première fois par une femme en... 2005 (par l'australienne Simone Young), 163 ans après sa création.

 À la fin du XX°, puis au XXI°, les carrières en direction musicale, tout comme celles de la composition, semblent aussi devenir plus accessibles mais au prix de quels efforts ! Les cheffes Simone Young, Marin Alsop, Emmanuelle Haïm, Christina Pluhar, Susanna Mälkki mais aussi Claire Gibault, Laurence Equilbey sont encore des pionnières défricheuses au XX°. Même si elles ont accédé à des postes et concerts que toutes leurs devancières pouvaient leur envier, ces femmes cheffes d’orchestre ont été des exceptions dans leur métier, encore souvent regardées avec condescendance.

Cependant, une nouvelle génération arrive, sans complexes, encouragées par ces premières qui se sont imposées. Elles se nomment Karina Canellakis, Alondra de la Parra, Mirga Grazinytė-Tyla, Speranza Scappucci, Barbara Hannigan... Ce n’est qu’un élan mais l’égalité se conquiert peu à peu.
Ici une vidéo de la cheffe mexicaine Alondra de la Parra, que j'adore :
https://www.youtube.com/watch?v=pjZPHW0qVvo
Elle n'arrête pas de sourire et elle finit par constater que sa baguette ne lui sert à rien, alors elle la pose.
une autre vidéo pendant une répétition de la même oeuvre avec l'orchestre de Paris (qui n'a pas encore tout à fait trouvé comment swinguer latino aussi bien qu'elle) :
https://www.youtube.com/watch?v=YfKBfH0g_Hc

Cela dit, ces cheffes continuent de rencontrer la résistance (jalousie ?) de nombreux chefs hommes, dont les propos clairement sexistes ne se sont pas encore taris, même dans la dernière décennie.
"Des noms ! des noms !" vous entends-je dire d'ici ! Bah, suffit de d'mander 😉
Donc en 2013, Vasily Petrenko, chef principal de l'Orchestre philharmonique d'Oslo et de l'Orchestre philharmonique royal de Liverpool, déclara à un journal norvégien : « les orchestres réagissent mieux lorsqu'ils ont un homme en face d'eux; dirigés par un homme, les musiciens rencontrent des distractions moins érotiques ». Les commentaires sur la résistance physique, la soi-disant faiblesse des femmes vs la force des hommes, sur la gestion de la carrière, et bien d'autres choses, ne sont pas en reste.

En prime un petit témoignage direct dont j'ai personnellement fait les frais lorsque je m'interrogeais sur une formation de direction... Un chef (local et peu connu du reste) que je connaissais très bien, à l'époque ami de la famille (plus du tout maintenant), m'a dit un jour "les femmes ne peuvent pas diriger."
"Ah bon ? Pourquoi ?"  lui ai-je demandé.
Sa réponse fut la suivante : "et bien parce que leurs seins les en empêchent".
Je suis restée sans voix. Et j'ai réagi comme une véritable ado révoltée, à l'opposé de cette injonction sans fondement : j'avais déjà passé une dizaine d'année dans l'enfance à faire du piano et du "solfège", je me suis alors réinscrite avec rage, motivation et combativité dans un conservatoire pour continuer mon chemin. J'ai appris le chant, la direction et tout un tas de matières complémentaires qui me permettent aujourd'hui de diriger 5 merveilleuses chorales, leur faire des arrangements... et des niouzletters aussi.

Bref, comme l'affirmait la journaliste britannique Edwina Wolstencroft "notre société est plus résistante aux femmes de pouvoir en public que pour les femmes du divertissement »...

Et les chefs de chœurs alors ?
Et les femmes cheffes de chœur alors ??

Malgré des prédécesseurs prestigieux, les chefs de choeurs sont devenus un peu les parents pauvres de la direction.
A l'origine, le chantre (du latin cantare) dirige et soutien de sa voix les chants d'église depuis l'époque médiévale... Dans les abbayes (celui ou celle donc qui devait diriger le chant grégorien en chironomie) mais aussi pour le culte séculier. Le mot cantor (chantre en latin médiéval) est plutôt utilisé en Allemagne et en Autriche, sous la forme Kantor, pour désigner celui qui dirige une « chapelle musicale ». Il s'agit donc du maître de chapelle (ou « maître de chœur ») d'une église. Le plus connu d'entre eux est certainement Jean-Sébastien Bach, Kantor de l'église Saint-Thomas de Leipzig, au XVIIIe siècle.

Les métiers de chef d'orchestre et de chef de choeur n'ont longtemps fait qu'un; d'abord chasse gardée des hommes chefs d'orchestres (certes un peu spécialisés dans la musique pour choeurs), les cheffes de choeur au féminin ont commencé à devenir visibles au XX°. Un exemple assez frappant est celui de Laurence Equilbey, qui commença cheffe de choeur en fondant son ensemble "Accentus", se perfectionna en direction d'orchestre, mais n'étant pas forcément accueillie à bras ouverts par des orchestres, fonda le sien, l' "Insula Orchestra" avec lequel elle pu aborder des oeuvres et des projets qui lui tenaient à coeur.
La voici dirigeant la "messe du Couronnement" de Mozart, où les voix (choeurs et solistes) tiennent un rôle fondamental :
https://www.youtube.com/watch?v=RxDCgFFBk2

De nos jours, les deux professions sont un peu plus séparées, peut-être en raison des spécificités du travail vocal. Lorsque une œuvre doit être interprétée a cappella ou accompagnée d'un petit nombre d'instruments réunis pour l'occasion, la direction musicale est normalement assurée par le chef de chœur ; lorsque l'œuvre doit être interprétée avec un orchestre, les chefs de choeur préparent les choeurs mais s'effacent ensuite pour laisser la main aux chefs d'orchestres (dont la technique gestuelle ne diffère pas vraiment).

La première classe de direction d'orchestre fut ouverte au Conservatoire Supérieur de Paris en 1914... Alors que les classes de direction de choeur apparurent bien plus tard, dans les années 80... (première classe ouverte au Conservatoire Supérieur de Lyon en 1979). Une explication à cela serait l'expansion et la popularisation du chant choral dans la seconde moitié du XX°: dans le milieu amateur, la direction des chorales a longtemps été confiée à des volontaires bénévoles. L'envie de s'améliorer et l'intérêt croissant de beaucoup pour cette discipline ont permis une montée en niveau de compétences, accompagnée d'abord par des associations privées (A Coeur Joie par exemple) puis par les conservatoires. Le métier de chef de choeur se professionnalise de plus en plus.

Les femmes y prennent progressivement leur place, non sans mal. Elles jouent un rôle important dans le monde des choeurs amateurs, mais une sorte de plafond de verre demeure pour la direction d'ensembles vocaux professionnels, à moins de les fonder soi-même (par ex Laurence Equilbey citée plus haut).

Quelques exemples laissent cependant espérer une évolution positive. On peut citer Sofi Jeannin (c'était ma prof !!), chanteuse et cheffe franco-suédoise d'abord en poste à Londres au Royal College of Music (l'équivalent du Conservatoire Supérieur de Paris), puis venue en France en 2008 pour diriger la Maîtrise de Radio France (choeur d'enfants), prenant la succession... d'un homme. Elle fait forte impression, et reprend en 2015 la direction du Choeur d'adultes de Radio France, l'une des formations les plus prestigieuses de notre pays. En 2018, les BBC Singers (Choeur de la radio britannique) viennent la chercher. Elle accepte le poste, mais garde néanmoins la direction de la Maîtrise de Radio France, laissant le choeur d'adultes à une autre femme, Martina Batic. A Londres, elle dirige aussi l'orchestre de la BBC à l'occasion.
Voici une très belle vidéo où elle dirige la Maîtrise de Radio France, dans une pièce de Michael Praetorius, compositeur ayant vécu à cheval entre le XVI° et le XVII° (à 1mn08), puis dans une adaptation de cette pièce par Jan Sandström, compositeur suédois né en 1954 (à 2mn06):
https://www.youtube.com/watch?v=X_fHun7EnlM
ça va rappeler un choral de Bach qu'ont chanté les Touch Musiciennes 😉

Bon, j'ai enfin fini ma prose - j'ai l'impression que mes niouzletters deviennent de plus en plus longues... Je suis trop bavarde. Promis, j'essaierai de moins parler la prochaine fois !

Petit clin d'oeil pour finir : J'ai entendu hier à la radio une nouvelle étonnante sur les rôles des femmes et des hommes dans la préhistoire. Je vous laisse découvrir :
https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-billet-vert/la-femme-prehistorique-reprend-sa-place_4306505.html

Bises et prenez soin de vous,
Cécile